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Sergio Cararo, Contropiano.org
Il y a quelques jours à Rome, une conférence d’information sur le soulèvement populaire au Soudan contre le coup d’État militaire a eu lieu.
La réunion était organisée par le Rete dei Comunisti avec la Communauté soudanaise en Italie, qui, quelques jours plus tôt, avait participé et pris la parole lors des manifestations contre les sanctions contre le Mali convoquées à Milan et à Rome par diverses forces panafricanistes actives dans notre pays.
Des journalistes et des militants de la diaspora soudanaise des associations et des forces politiques de l’opposition ont expliqué à la fois l’histoire récente du pays, depuis l’indépendance en 1956, et la situation actuelle qui voit une résistance populaire très dure au coup d’Etat, mais surtout la détermination à ne pas accepter de compromis avec les militaires comme le voudrait l’ONU.
Le chercheur Jacopo Resti et d’autres représentants de la diaspora africaine en Italie, notamment du Mali et de la Guinée, ont également pris part au débat. Ces deux pays ont connu des coups d’État répétés qui, à des degrés différents, ont vu la condamnation et dans certains cas les sanctions de l’Union européenne et de la Cedeao (la Communauté économique des pays d’Afrique centrale bien contrôlée par Paris et Washington).
“La décision de geler les avoirs nationaux du Mali porte donc clairement l’empreinte des dirigeants des pays de l’UEMOA, dont la plupart sont inféodés à la France. Elle a cependant été approuvée et annoncée par la CEDEAO, actuellement sous présidence ghanéenne”, ont expliqué Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla sur Contropiano.
Mais les jeunes Africains qui sont intervenus ont tenu à souligner que tous les coups d’État ne se ressemblent pas. Certains visent à restaurer ou à imposer des privilèges exclusifs à tel ou tel groupe de pouvoir, d’autres ouvrent la voie à la libération du pays de l’asphyxiante mainmise coloniale exercée dans cette zone, notamment par la France. L’expulsion de l’ambassadeur français du Mali et la demande de retrait des contingents militaires étrangers (dont un italien, ndlr) en sont une démonstration claire.
Dès lors, comment évaluer le retour des coups d’État en Afrique, comme cela s’est produit récemment au Soudan, au Tchad, au Mali, en Guinée Conakry ou au Burkina Faso ou lors des coups d’État ratés au Niger et hier en Guinée Bissau ? Avec le même critère ou en essayant de comprendre quels besoins et intérêts les ont inspirés, en différenciant ce qui doit l’être et en analysant les conséquences qu’ils peuvent produire ?
Il serait bon, entre autres, de rappeler à l’Europe que certains coups d’État, comme ceux de 2011, en Libye contre Kadhafi et en Côte d’Ivoire contre Gbagbo, ont vu la participation militaire directe de la France.
L’un des éléments qui ressort des discours, qui relatent également des réalités différentes, est qu’un des facteurs de crise mais aussi d’émancipation dans les pays africains est la question de l’Etat
Le colonialisme a systématiquement agi pour affaiblir ou détruire les fragiles entités étatiques issues de la décolonisation et des luttes de libération des pays africains. S’il devait piller les ressources des territoires qui en sont riches, le colonialisme européen, comme tous les autres, a agi pour briser les États existants, les affaiblir, les réduire à des enclaves souvent ethniques en conflit les unes avec les autres et choisir de temps à autre l’interlocuteur des différents acteurs (secteurs militaires, bandes paramilitaires, groupes tribaux) pour négocier le prix le plus avantageux pour le contrôle des zones les plus riches en ressources.
Au contraire, les États unifiés et centralisés ont souvent vu augmenter la tentation de négocier durement avec les multinationales, et avec les États qui les soutiennent, à partir de positions moins soumises, en demandant peut-être des redevances plus élevées sur les droits d’extraction ou de passage ou en allouant des fonds publics au développement plutôt qu’au paiement de la dette extérieure ou à l’obéissance aux diktats antipopulaires du FMI.
Dans la faiblesse des États africains post-coloniaux, le seul appareil structuré s’est souvent avéré être l’armée.
C’est ici qu’ont été produits des dictateurs et des meurtriers en série, mais aussi des dirigeants et des chefs d’États anticolonialistes. L’armée donnait la possibilité d’étudier, de faire le tour du monde pour se former mais aussi de mieux comprendre les mécanismes qui déterminent les relations internationales. En outre, les forces armées sont souvent la plus grande “entreprise” de leur pays, également en termes économiques. En bref, dans les forces armées des États affaiblis ou désintégrés, on produit des virus, mais aussi des anticorps. Le colonialisme préfère interagir avec les premiers, et les instances d’émancipation avec les secondes.
En Afrique, il y a donc un fort besoin d’avoir un Etat digne de ce nom et capable de garantir la sécurité et la redistribution à tous ses citoyens, même s’ils appartiennent à des groupes ethniques différents. Et parfois, cette garantie est offerte davantage par des secteurs des forces armées locales que par l’ingérence occidentale, qu’elle soit gouvernementale ou non gouvernementale, qui prospère précisément sur la faiblesse et la désintégration des États africains.
Tout aussi intéressantes sont les ambitions pour de nouvelles formes d’intégration régionale sans rapport avec celles imposées par le colonialisme moderne, ambitions qui se développent au nom d’un panafricanisme qui fait son retour parmi les nouvelles générations et qui est maintenant aussi clairement visible dans la diaspora africaine en Europe, qu’il serait une erreur tragique de réduire à une simple question d'”immigrants”.
L’autre réflexion qui ressort des discours est la perception différente en Afrique de la figure de Kadhafi. Isolé et peu apprécié des gouvernements arabes et occidentaux, Kadhafi était beaucoup plus apprécié dans les pays africains. On peut dire qu’il avait mieux réussi à embrasser le panafricanisme que le panarabisme. Ses tentatives pour mettre en place une Banque africaine libre de toute ingérence de la France et du FMI ont dû entraîner sa condamnation à mort, qui a été exécutée en octobre 2011 après un coup d’État fomenté par la France et la Grande-Bretagne avant tout, mais aussi par l’Italie de Giorgio Napolitano.
La discussion au cours de la conférence doit sans aucun doute être mise en relation avec les discours entendus dans les rues lors des manifestations à Rome et à Milan contre les sanctions contre le Mali. “Quand on sait que les intérêts de l’impérialisme occidental (en particulier l’impérialisme français) peuvent se sentir menacés, on peut comprendre quelle est la véritable raison de la “punition” que subit le Mali” a écrit l’activiste africain François Farafín Sandouno dans les pages de Contropiano.
Il est donc tout à fait possible – et nécessaire – de considérer les aspirations d’émancipation anticoloniales de l’Afrique avec un regard neuf, libéré de l’eurocentrisme et fondé sur un internationalisme moderne. Le travail d’information, de formation et d’initiative que le Rete dei Comunisti développe est en train de prendre les bonnes mesures.
C’est un acte dû surtout aux communistes européens, car l’Union européenne et les grands groupes monopolistiques pour lesquels elle a été créée, considèrent maintenant ouvertement l’Afrique et ses ressources comme “leur propre arrière-cour” à exploiter et à contrôler, tout comme les États-Unis l’ont fait et croient devoir le faire encore en Amérique latine. Et c’est précisément sur la base de cette analyse que, ces dernières années, la proposition d’une zone euro-afro-méditerranéenne a été avancée comme une alternative à l’Union européenne en termes politiques et économiques.
Et ce n’est pas tout. Le colonialisme est né en Europe et c’est aussi sur cette base qu’il a construit son modèle idéologique eurocentrique encore hégémonique – y compris dans la gauche européenne – qu’il faut miner de fond en comble, même et surtout dans les nouvelles générations d’activistes, de militants, de révolutionnaires du XXIe siècle, qu’ils soient européens ou africains ou moyen-orientaux.
En discutant avec un camarade à la fin de la conférence, nous avons dit : “Nous avons besoin de la Tricontinentale comme du pain”, c’est-à-dire l’organisation internationale anti-impérialiste qui, dans les années 1960 et 1970, a soutenu toutes les luttes de libération en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Peu de gens le savent, mais la Tricontinentale est toujours active aujourd’hui et publie un site web rempli d’informations et d’analyses.
L’impérialisme d’abord et les impérialismes ensuite, au cours de ces décennies d’hégémonie, pensaient avoir fait table rase, mais ils n’ont pas réussi – pas même en Afrique – et maintenant ils regardent tout cela avec une crainte croissante. Si l’Amérique latine a décidé de ne plus être le patio transitoire des États-Unis, en Afrique, on observe une volonté croissante de ne plus vouloir être l’arrière-cour de l’Union européenne.