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Rete dei Comunisti
Ces derniers mois, nous avons assisté à une accélération des tensions diplomatiques, politiques et même militaires entre certains États d’Afrique de l’Ouest et l’Union européenne, notamment à travers son pivot militaire : la France, qui compte un peu moins de 5 000 soldats au Sahel.
Le Mali, la Guinée et le Burkina Faso sont sur une “trajectoire de collision” avec les plans décidés pour eux à Bruxelles et à Francfort, et en partie à Washington. Le Mali, en particulier, qui était le centre de la stratégie militaire de la France et le pays qui “accueillait” plus de la moitié de ses troupes dans la région, s’est heurté à Paris, mais pas seulement.
Dans d’autres pays, le status quo néocolonial craque à cause des décombres produits par un modèle de développement qui a dévasté les pays de la périphérie intégrée dans les chaînes de la valeur occidentale avant même la “victoire” de la mondialisation néolibérale.
L’Hexagone, à travers le système politique, économique et monétaire de la Françafrique, a été le vecteur des intérêts néocoloniaux européens en Afrique, où l’Union européenne expérimente non seulement cette « autonomie stratégique » à laquelle elle aspire militairement, mais aussi l’une de ses principales lignes d’expansion économique à travers la nouvelle stratégie d’investissement européenne du « Global Gateway ».
Paris a été, pour ainsi dire, le “bélier” dans les territoires de son ancien domaine colonial – sur lequel elle n’a jamais voulu lâcher prise – au nom de l’UE, mais d’autres États européens – dont l’Italie – ont également contribué par leurs “bottes sur le terrain”. Récemment, le ministre italien de la défense, Lorenzo Guerini, a déclaré que le Sahel représente « la véritable frontière méridionale de l’Europe », étayant ainsi les prétentions expansionnistes et les influences politiques de l’impérialisme européen.
L’Allemagne a son plus gros contingent à l’étranger, environ 1 300 hommes, en plein Mali, au sein de deux missions différentes : 1 000 sur 15 000 personnes dans la mission de l’ONU MINUSMA, qui a débuté en 2013, et plus de 300 sur environ 1 100 dans la mission de formation de l’UE, EUTM-Mali. L’Espagne compte 530 personnes dans la mission EUTM-Mali. Au total, les forces “externes” dans la région s’élèvent à 25 000 personnes.
Le super-État européen en gestation rencontre divers obstacles à son établissement dans ce qu’il pensait être son “arrière-cour” : des concurrents redoutables comme la Russie et la Chine, des militaires “patriotes” qui rejettent les terminaux politiques locaux de la Françafrique, des mouvements sociaux-politiques de masse qui veulent poursuivre leur chemin de libération là où il a été brusquement interrompu par l’Occident et ses pions.
La présence militaire française à travers l’opération Serval, devenue ensuite Barkhane, au Sahel a été entreprise en 2013 avec l’intention affichée de « lutter contre le terrorisme ». Un récit toxique – celui de la guerre contre le terrorisme islamique – qui a servi d’outil idéologique pour justifier les neuf années de la plus longue et de la plus vaste opération militaire française depuis la Seconde Guerre mondiale, d’une manière qui n’est pas sans rappeler la « guerre contre le terrorisme » propagée par Washington depuis l’Afghanistan.
En réalité, plutôt que de défendre les populations civiles menacées et victimes des violences perpétrées par les groupes armés djihadistes dans la région, l’objectif de la France est de protéger ses intérêts économiques et la prospérité des profits de ses multinationales qui pillent et saccagent les ressources du Sahel (Total, Areva, Bolloré et autres).
D’un point de vue purement militaire, si quelques chefs djihadistes ont été éliminés, l’insurrection islamique s’est répandue comme une traînée de poudre et touche désormais les États du Golfe de Guinée, et semble être solidement ancrée dans des endroits où elle n’avait jamais réussi à s’implanter auparavant.
La complicité et la subordination de certains gouvernements ouest-africains au néocolonialisme français ont trouvé une dimension stable et institutionnalisée non seulement à travers certaines figures politiques, comme Macky Sall au Sénégal ou Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, mais aussi dans la cage des structures supranationales comme la CEDEAO et la coordination militaire du “G5 Sahel”, deux entités subordonnées aux intérêts impérialistes occidentaux.
La CEDEAO est responsable, avec l’UEMOA, des sanctions économiques et financières récemment imposées au Mali, qui ont en fait imposé un embargo à l’empreinte résolument néocoloniale. De son côté, le Mali a envoyé un ultimatum à l’ambassadeur français après les propos scandaleux du ministre français des affaires étrangères, tandis que la France et l’UE continuent de discréditer et de délégitimer – tout comme l’Union africaine – les diverses formes et expressions d’indépendance et de souveraineté qui émergent en Afrique de l’Ouest.
Le plan de réduction de l’opération Barkhane annoncé par le président français Emmanuel Macron en juillet dernier ne visait pas un « retrait des troupes » du Mali – comme l’ont écrit à tort les médias grand public – mais une réorganisation et une redéfinition par « européanisation » de l’intervention militaire au Sahel. La mission Takuba prévoit précisément l’engagement des forces spéciales de la France et de ses alliés européens (et du Canada) et représente une étape supplémentaire dans la construction de cette armée de défense européenne identifiée comme l’un des piliers de l’autonomie stratégique de l’Union européenne, dont le Compas stratégique est l’un des principaux instruments.
L’élargissement et le développement de la mission Takuba, qui selon les plans de Paris et de Bruxelles devait se faire en bon ordre, s’est heurté à une forte résistance et à une mobilisation populaire parmi les populations de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. La démonstration de force décidée par les autorités maliennes sur le déploiement de nouveaux contingents militaires européens de la mission Takuba – qui avait déjà entraîné le retrait de certains contingents – vise à inverser les relations internationales qui ont conduit jusqu’à présent à un mécanisme de domination et d’assujettissement des puissances occidentales sur les États africains.
Le 16 février, un sommet des chefs d’État ouest-africains et européens impliqués dans la Task Force Takuba s’est tenu à Paris, au cours duquel Emmanuel Macron a annoncé le départ des forces françaises du Mali et leur déplacement vers les pays voisins, vers le Niger (où il dispose déjà d’une base aérienne et d’un déploiement considérable d’hommes) et le Burkina Faso. Un « repli désordonné » face à l’incertitude et à la crainte croissante que le Sahel ne devienne en perspective « l’Afghanistan de l’Union européenne » (avec toutes les différences). Dans quatre à six mois, selon les déclarations de l’Élysée, le retrait du Mali sera achevé, mais pas celui du Sahel où entre 2 000 et 3 000 soldats continueront à être stationnés. Paris continuera à apporter son soutien aérien et médical aux autres missions, mais il est clair que sans la France, la mission de l’UE, EUTM, et la mission de l’ONU, MINUSMA, seront lourdement pénalisées.
L’Afrique de l’Ouest est en train d’échapper aux mains des « apprentis sorciers » qui ont contribué à déstabiliser la Libye en 2011, d’abord en libérant les forces djihadistes, qui se sont ensuite répandues dans toute la région, puis en intervenant militairement par le biais de l’OTAN. La propagation des forces islamistes a servi de prétexte à l’occupation militaire d’une vaste zone, avec un déploiement considérable de troupes, principalement par la France, qui perpétue sa politique néocoloniale d’expropriation des matières premières, de dépendance économique, de seigneuriage avec le franc CFA et de subordination politique par le biais d’une élite politique corrompue.
L’Afrique de l’Ouest et, en général, le continent africain – avec toutes ses facettes multidimensionnelles, ses particularités régionales et ses spécificités locales – deviennent un théâtre important de la compétition internationale, avec un rôle plus prononcé en raison de la coprésence de la Russie et de la Chine, tandis que la tendance à un monde de plus en plus multipolaire gagne du terrain.
Nous pensons que ce qui se passe pose fortement la question d’une alternative politique qui préfigure une configuration des relations entre les populations en rupture avec la logique néo-colonialiste. Une logique que le pôle impérialiste européen émergent voudrait imposer. La préfiguration de cette alternative – l’abandon d’un eurocentrisme délétère – doit inclure la valorisation du fort sentiment d’indépendance qui réapparaît et la reprise d’un discours panafricaniste notamment parmi les jeunes générations.
En tant que Rete dei Comunisti (Italie), nous espérons et luttons pour la défaite de “notre” impérialisme européen en Afrique, comme ailleurs, et pour l’obtention de la pleine indépendance et souveraineté des pays subjugués par le néocolonialisme de l’Union européenne, dans une configuration de relations multipolaires, dans laquelle la coopération entre les peuples est le principal moteur d’une alternative politique.