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Extrait de l’interview Contropiano du 17 avril 2022
Pour le bulletin international du Rete dei Comunisti, nous voulons proposer un extrait de l’interview de Pierpaolo Leonardi, coordinateur national du syndicat, datant d’une semaine avant la grande grève nationale, et le communiqué de la confédération nationale à l’issue de la grande manifestation à Rome.
Question : Nous voulons demander comment la journée du 22 avril, qui a été conçue dans un contexte différent, a été brusquement modifiée par la guerre. Le pays était déjà plongé dans une lourde crise économique et sociale, que pouvaient faire les travailleurs de la production et de la circulation des marchandises contre les causes et les conséquences de la guerre sur la société ?
Réponse : Depuis des mois, bien avant que la guerre en Europe n’éclate et ne devienne une réalité, l’USB s’était engagée sur la voie de la relance de l’initiative ouvrière de classe dans le pays. La hausse de l’inflation, l’impact des sanctions contre la Russie sur les salaires et sur la viabilité économique des familles, tout cela est entré en vigueur lors de la préparation du 22.
Baisser les armes, augmenter les salaires est devenu un nouveau mot d’ordre à côté de ceux sur lesquels la mobilisation a commencé.
Le coût de la vie attaque directement le bloc social des travailleurs dépendants, précaires et faussement autonomes qui s’intéressent objectivement au changement de politique économique et qui sont les interprètes directs de la nécessité de sortir de la sphère des conflits strictement syndicaux et, comme dans les années 70, de mener un mouvement plus large qui pose la question des salaires, des revenus directs et indirects, du droit au logement, contre le coût de la vie, pour le pouvoir des travailleurs.
Question : Que signifie une “grève des travailleurs et une manifestation nationale à Rome” ? Vous avez décrit cette journée de conflit comme remettant la “variante des travailleurs” au centre de l’agenda politique du pays. Mais il s’agit d’une grève qui agit aussi ouvertement dans et contre la chaîne de valeur capitaliste. Qu’est-ce que cela signifie ?
Réponse : Depuis de nombreuses années, on parle de la fin de la classe ouvrière, de la fin de sa fonction dans le pays. On a ainsi tenté, en grande partie avec succès grâce aux choix des confédérations jaunes et pro-propriétaires, de désarmer les travailleurs en les privant de la conscience de leur fonction historique mais surtout de leur fonction dans la réalité.
Les travailleurs, les ouvriers, ceux qui produisent avec le 22 avril reprend la parole et le fait avec ceux qui le produit de leur travail circule et le commercialise. Une variante, celle des travailleurs, dans la déclinaison que j’ai dite de la chaîne de valeur qui serpente de la production à la commercialisation des biens et des produits, qui s’affirme comme un nouvel espace de conflit élargi pour acquérir un nouveau pouvoir et un nouveau rôle dans la société.
La richesse appartient à ceux qui la produisent, la déplacent, la commercialisent et, au-delà des divisions catégorielles classiques, s’organisent et se proposent, par la lutte, comme un sujet unitaire capable de redessiner la société et les intérêts.
Question : Un aspect résolument inédit qui a émergé est l’unité entre les travailleurs et les étudiants. Les organisations d’étudiants telles que l’Osa ont déclaré une grève pour le 22 avril. Ils ont écrit sur diverses banderoles “Travailleurs-étudiants enfants de la même colère”. Comment est née cette alliance de deux secteurs importants du bloc social antagoniste et comment se développe-t-elle ?
Réponse : L’unité entre travailleurs et étudiants n’est pas un fait nouveau dans l’histoire des luttes sociales et syndicales de notre pays…
Question : Évidemment, je faisais référence aux années les plus récentes, ou aux décennies…..
Réponse : En fait, il est plus approprié de dire que l’on avait peut-être perdu la mémoire et la conscience de l’unité d’intérêts entre les travailleurs et les étudiants, qui avait progressivement disparu avec le temps. Aujourd’hui, le capital a fourni, comme il le fait toujours, les éléments de recomposition qui rendent inévitablement nécessaire l’unité entre étudiants et forces de travail.
L’introduction de l’alternance école-travail a donné un formidable coup de pouce à la compréhension par les étudiants de la manière dont leur formation était pliée aux intérêts du capital, au maintien du commandement des entreprises. La période scolaire interprétée comme un apprentissage au travail, plutôt que comme une phase de croissance libre et consciente, l’école des compétences, et les compétences dont les entreprises ont besoin, ont conduit très tôt les élèves à devoir se battre non seulement pour une école ouverte, laïque et démocratique, mais aussi contre l’exploitation.
La question de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail, qui est un autre des thèmes centraux de la grève et de la manifestation des travailleurs du 22 avril, les meurtres au travail qui se comptent chaque jour dans le pays ont été immédiatement mis en relation avec la mort des deux étudiants qui effectuaient des activités de production réelles directement dans l’entreprise, au lieu de leur propre école, et ont donné la mesure de la nécessité de l’unité de classe et de la mobilisation.
Question : Nous pouvons donc dire qu’après des années de léthargie et de pensée faible, le conflit des travailleurs et des étudiants semble avoir redécouvert au sein de la crise – et de son exacerbation avec la guerre – une fonction, une identité de classe et une aspiration au changement qui semblaient avoir disparu. Les travailleurs de l’aéroport de Pise et les dockers de Gênes ont bloqué le trafic d’armes, construisant autour d’eux une très large alliance sociale. Des décennies après les moments forts du mouvement ouvrier, peut-on dire que lorsqu’ils prennent l’initiative, les travailleurs ont à nouveau la capacité d’unir autour d’eux un bloc social plus large ? Pouvons-nous envisager l’avenir de manière plus positive que par le passé ?
Réponse : Il ne fait aucun doute que la reprise du conflit des travailleurs contre les restructurations dans les usines, contre les délocalisations, dans les campagnes contre l’exploitation et l’esclavage, dans la logistique contre les nouveaux modèles d’esclavage/production ont donné une forte impulsion à une reprise globale du conflit. Nous assistons à la reprise du protagonisme des travailleurs précisément maintenant que la guerre semble avoir redistribué et redessiné les périmètres sociaux et politiques dans lesquels seuls les comportements compatibles avec les choix globaux du capital sont considérés comme légitimes.
Les “épisodes” de Pise et de Gênes n’en sont pas. Ils sont plutôt le résultat d’une culture maintenue et entretenue avec ténacité dans nos rangs, qui nous pousse à intervenir directement, avec nos propres outils, la grève, et avec nos propres corps, les blocages, pour empêcher la guerre de tout dominer et de nous considérer comme des complices.
La participation massive, bien au-delà de celle des secteurs de travailleurs directement concernés, qui a animé les blocages et les manifestations clairement contre la guerre, contre l’envoi d’armes, contre le transfert de ressources des besoins sociaux vers les dépenses militaires, montre qu’un comportement décisif, fort et clair en termes d’objectifs et de modes d’action peut faire la différence et devenir les éléments d’une large cohésion, les signes avant-coureurs d’une croissance du consensus généralisé.
C’est ce à quoi nous travaillons, et c’est ce qu’ils essaient de nous empêcher de faire avec des plaintes, des renvois et même des provocations des carabiniers. Ils n’ont pas réussi jusqu’à présent et ils ne réussiront pas à l’avenir. La réaction de l’ensemble de l’organisation, la volonté de continuer et la détermination dans les initiatives de lutte renforcent considérablement notre conscience que nous sommes sur la bonne voie.