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« Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir »
Franz Fanon
Rete dei Comunisti
La fuite du Niger
Dimanche 24 septembre, Emmanuel Macron a annoncé le rapatriement dans les « prochaines heures » de l’ambassadeur de France à Niamey et le retrait des troupes françaises d’ici la fin de l’année.
« Nous mettons fin à notre coopération militaire avec le Niger », a-t-il annoncé au journal de 20 heures de France 2 et TF1.
Ainsi s’achève le bras de fer engagé par l’Élysée avec les autorités installées au Niger après le coup d’État militaire qui, le 26 juillet, a déposé le président Mohamed Bazoum.
La junte militaire du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) avait, dès le début du mois d’août, dénoncé les cinq accords de coopération militaire signés depuis 1977 avec Paris et donné un préavis d’un mois pour quitter le pays. Le CNSP avait également déclaré l’ambassadeur « persona non grata », lui retirant ses lettres de créance diplomatiques, et ordonné l’expulsion de Sylvain Itté à la fin du mois d’août. À plusieurs reprises, des manifestations océaniques ont eu lieu devant les bases militaires françaises – notamment celle de la capitale – et pas seulement, promues par des organisations qui avaient été sévèrement réprimées sous la présidence de Bazoum.
Macron lui-même a dû admettre qu’ils seraient obligés de se mettre d’accord avec les auteurs du coup d’État, afin que le retrait puisse se faire en paix, admettant implicitement quelle autorité contrôle réellement le pays.
La base 101, dans la capitale, abrite pour l’essentiel des aviateurs et des techniciens en charge des 3 Mirage 2000 et des 6 drones Reaper, tandis qu’environ 200 soldats sont stationnés par roulement de 4 mois à la base d’Oullam (Liptako), et seront probablement bientôt transférés à Niamey pour y être évacués.
La réaction des militaires et des mouvements patriotiques – M62 et MPCR – ne s’est pas fait attendre.
« Ce dimanche, nous célébrons une nouvelle étape vers la souveraineté du Niger. Les troupes françaises ainsi que l’ambassadeur de France quitteront le sol nigérien d’ici la fin de l’année. C’est un moment historique qui témoigne de la détermination et de la volonté du peuple », a annoncé un communiqué du CNSP à la télévision nigérienne.
Le coordinateur du M62, Adoulaye Seydou, une coalition d’organisations de la société civile hostiles à la présence militaire française au Niger et souhaitant l’arrêt des relations diplomatiques et économiques avec la France, déclare : « c’est une victoire d’étape, mais nous ne crierons pas victoire tant que le dernier soldat français n’aura pas quitté notre pays. La France s’est mise dans une situation où elle est victime de sa propre politique. Malheureusement, Macron a détérioré l’image de la France. Nous apprécions les valeurs que le peuple français incarne. Nous n’avons aucun problème avec le peuple français. Nous devons mettre fin aux relations diplomatiques jusqu’à ce qu’il y ait des autorités capables d’écouter les autres pays et de nous traiter sur un pied d’égalité ».
Ibrahim Namaywa, membre du Mouvement pour la promotion de la citoyenneté responsable (MPCR), exprime également sa “satisfaction”. « Ce n’est pas Macron qui doit dire qui peut légitimement être à la tête de notre pays, jusqu’à refuser de se plier aux décisions de nos autorités », a déclaré Ibrahim Namaywa, qui a ajouté : « Nous sommes mobilisés et nous continuerons à redoubler d’efforts ».
Interrogés séparément par Rfi Afrique au lendemain des déclarations de Macron, deux experts du dossier sont unanimes : « c’est une victoire sur toute la ligne » de la junte, affirme Seidik Abba du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel, qui reçoit une « certaine légitimité », et dont la détermination « à ne pas céder » face à la posture belliqueuse de Paris est récompensée.
Thierry Vircoulon de l’IFRI – l’Institut français d’études des relations internationales – est assez lapidaire, et après avoir énuméré les États africains (Tchad, Djibouti, Dakar, Libreville-Congo, Gabon, Côte d’Ivoire) où il y a une présence française, il déclare : « jusqu’à présent, il n’y a pas d’endroits où il y a des risques particuliers. Mais il est clairement perçu que la légitimité de la présence militaire française en Afrique est aujourd’hui quasiment nulle ».
Paul-Simon Handy, directeur régional pour l’Afrique de l’Est à l’Institut d’études de sécurité, dresse-lui aussi un bilan très sévère, interrogé par Le Monde : « Dans tous les cas, il s’agit d’un retrait humiliant. La posture intransigeante d’Emmanuel Macron, partisan d’une ligne dure contre les auteurs du coup d’État depuis le début de la crise, supposait deux alternatives : l’affrontement avec les militaires nigériens ou un départ forcé ».
L’année de l’indépendance des colonies, en 1960, les troupes françaises en Afrique s’élevaient à 60.000 contre 6.000 aujourd’hui. Au début de l’année, on s’attendait déjà à une nouvelle contraction, mais il est clair que la débâcle au Niger perturbe encore davantage les plans français.
La fin de la présence militaire semble aller de pair avec le crépuscule de la domination économique.
Le M62 a en effet demandé au CNSP de retirer au français Orano (ex-Areva) le permis d’exploitation du site d’Imouraren, un gisement d’uranium situé dans la région d’Arlit, au nord-ouest du pays. L’organisation estime que la concession est détenue « illégalement » par Orano. Les droits ont été obtenus en 2009, puis renouvelés en mai dernier auprès du ministère des mines du gouvernement déchu, dont le ministre est en état d’arrestation.
Selon Abdoulaye Seydou, coordinateur du M62, le peuple nigérien ne profite pas suffisamment de l’exploitation de l’uranium du Niger.
Almoustpha Alhacen, qui préside une ONG environnementale à Arlit, ne demande pas le retrait de la concession, mais des changements qui pourraient inclure une paternité mutuellement bénéfique et l’adoption d’une politique minière nationale.
La rédemption africaine à l’ONU
Mamady Doumbouya a prononcé un discours historique aux Nations unies le 21 septembre. Il est le premier chef d’État d’un pays africain ayant connu des coups d’État aux mains de militaires patriotes à pouvoir s’adresser aux Nations unies et à exprimer un point de vue général qui donne un sens à cette nouvelle saison de rédemption politique de l’Afrique.
Mamady Doumbouya, le 5 septembre 2021, a renversé le président Alpha Condé et a été nommé président pour la période de transition.
Les militaires appellent à dépasser un jugement superficiel sur ce qui se passe sur le continent africain, à ne pas s’arrêter aux conséquences mais à s’intéresser aux causes des coups d’État qui l’ont ponctué.
Selon le chef de l’État guinéen, dont la capitale est Conakry, les vrais “putschistes” ne seraient pas les militaires qui se chargent de renverser les régimes qui ne servent pas les intérêts des populations, mais ceux qui font tout pour se maintenir au pouvoir en perpétuant un système qui profite aux élites – et aux puissances qui les soutiennent de manière intéressée – au détriment des populations.
Il dit expressément : “L’auteur d’un Putsch n’est pas seulement celui qui prend les armes, qui renverse un régime (…) Les vrais auteurs d’un Putsch, les plus nombreux, et qui ne font l’objet d’aucune condamnation, sont ceux qui manipulent, qui rusent, qui travaillent à changer les textes de la Constitution pour se maintenir éternellement au pouvoir”.
Doumbouya affirme que « l’Afrique souffre d’un modèle de gouvernance qui nous a été imposé (…) ce modèle a surtout contribué à perpétuer un système d’exploitation et de pillage de nos ressources au profit d’autres, et une corruption très présente dans nos élites ».
Un modèle politique – la démocratie ou plutôt son “simulacre” – qui a maintenu un système économique, en somme.
Mais les choses ont changé : « La vieille Afrique est morte ».
L’heure est au changement, dit Doumbouya, pour un continent à la jeunesse émancipée.
Il conclut : « Il est temps de revendiquer nos droits, de trouver notre place. Mais surtout, il est temps d’arrêter de nous donner des leçons, de nous mépriser, de nous traiter comme des enfants ».
Ce qui se dessine, cristallisé par les propos de Doumbouya (qui est le plus “modéré” des putschistes patriotes du Sahel), c’est un changement d’ordre politique dans la bande du continent africain subsaharien qui s’étend de l’Est (Soudan) à l’Ouest (Guinée).
Quelques jours après le discours du leader guinéen Macron à l’ONU, dans la soirée du dimanche 24 septembre, comme nous l’avons vu, il a annoncé dans une interview télévisée à France 2 et TF1 le retrait du contingent français du Niger – composé de 1 500 soldats – d’ici la fin de l’année et le rapatriement de l’ambassadeur Sylvain Itté dans les heures qui suivent.
Les manifestations massives contre la cherté de la vie au Ghana, la déclaration commune des deux plus grandes confédérations syndicales du Nigeria appelant à une grève générale à partir du 3 octobre contre les politiques d’austérité imposées par le nouveau président Tinubu et la “sonkorisation” de la stratégie de résistance au Sénégal, où la jeunesse sénégalaise utilise tous les espaces publics pour acclamer le chef de l’opposition emprisonné, complètent la “représentation plastique” de ce changement en cours ces dernières semaines.
D’une part, l’ancien monde se meurt et, d’autre part, le nouveau monde naît au milieu de mille et une vicissitudes, avec les “coups d’État populaires”, comme les a appelés à juste titre l’intellectuel franco-algérien Said Boumama, les mobilisations contre les conséquences de la crise de l’ordre néolibéral moribond et l’opposition indomptable aux démocraties néocoloniales.
2019-2023 : chronologie des coups d’État africains
Commençons par une vue d’ensemble, en partant du principe que ces changements concernent des contextes différents et ont eu, et peuvent avoir, des développements différents. Dans certains cas, comme pour les coups d’État au Tchad et au Gabon, il s’agit de “révolutions de palais” qui ont porté au pouvoir des hommes qui n’étaient pas mal aimés par l’Occident et qui ont assuré une certaine continuité – mais qui peuvent réserver des surprises considérables –, sachant que les classes dirigeantes africaines, même celles qui sont historiquement plus pro-occidentales, peuvent commencer à se tourner vers d’autres points de référence tels que la Chine, la Russie et la Turquie.
Dans d’autres cas, il s’agit de véritables transitions manquées par les développements tragiques de la guerre, comme au Soudan, dans d’autres encore, le début de processus de désengagement de la domination néocoloniale euro-atlantique avec un consensus populaire considérable : Mali, Guinée, Burkina Faso et Niger. Dans les flux et reflux historiques, il s’agit d’une sorte de “retour aux sources” de ces expériences, malheureusement éphémères, qui se sont produites au lendemain des indépendances ou dans des phases ultérieures : Thomas Sankara au Burkina Faso (1983-1987), Modibo Keïta au Mali (1960-1968), Ahmed Sékou Touré en Guinée-Conakry (1958-1984).
Le Sahel est devenu l’un des principaux points chauds de l’impérialisme euro-atlantique et le foyer de la « quatrième génération » de révolutionnaires africains, ainsi que le berceau d’un nouveau panafricanisme sur le terrain et dans la diaspora.
La première brèche dans les arrangements politiques précédents a été la chute au Soudan du régime trentenaire d’Omar Al-Bashir le 11 avril 2019, déposé par l’armée soudanaise après des mois de mobilisations au caractère de plus en plus insurrectionnel. Un changement “ du chat et de la souris “ où les militaires qui étaient un pilier du régime islamique d’Al-Bachir se sont révélés être, avec les puissances qui s’appuyaient sur eux, un frein plutôt qu’une impulsion au changement, au point de devenir dans leur lutte fratricide actuelle culminant dans l’escalade de la guerre les fossoyeurs de la révolution soudanaise.
Le 18 août 2020, au Mali, le président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) est arrêté avec son premier ministre, Boubou Cissé, par les militaires, et annonce sa démission dans un message télévisé. La junte qui le renverse est dirigée par Assimi Goita. Depuis des mois, l’opposition, qui organisait régulièrement des manifestations à Bamako, réprimées dans le sang, réclamait sa démission.
Il est le premier “maillon” faible de la chaîne à sauter au Sahel, ce qui est d’autant plus important qu’après la déstabilisation de la Libye, l’opération Serval en 2013 – sous la présidence de Hollande – est la première étape d’un déploiement militaire français qui comptera plus de 5.000 soldats dans toute la zone. Il faudra ensuite six mois pour que les 4 500 soldats présents au Mali soient évacués et que les marchandises conteneurisées prennent la route vers les ports de Cotounou au Bénin et d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Avec Barkhane et Takouba, les contingents de la mission de l’ONU MINUSMA partiront également, à la demande de la nouvelle autorité.
Le 20 avril 2021, au Tchad, l’armée annonce la mort au combat d’Idriss Daby, après sa réélection pour son sixième mandat (sixième !) à la tête de l’État depuis le coup d’État de 1990.
Son fils, Mahamat Idriss Déby Itno, prend le pouvoir et dissout l’assemblée nationale, avec la bénédiction de la France. En octobre 2022, le général de 39 ans est officiellement nommé président de transition pour deux années supplémentaires, se réservant le droit de se présenter aux élections après avoir repris le pouvoir et organisé des élections. Comme son père, Mahamat Idriss Déby Itno, et son prédécesseur Hissène Habré (1982-1990), il est un allié stratégique de la France et de sa présence militaire au Sahel.
Le maintien au pouvoir simultané de Habré et de Déby père a été assuré par les militaires manu militari de l’Esagono, qui ont bombardé en 2019 les colonnes rebelles qui menaçaient d’atteindre la capitale.
Il y a 1 000 militaires français au Tchad, une base aérienne, un état-major à Ndjamena et un camp d’observation au Sahel. Le régime de Déby a vu se multiplier les facteurs critiques internes et externes, et a sévèrement réprimé toute forme d’opposition dans le sang.
Le 20 octobre 2022, une violente répression s’abat sur les manifestants réclamant le départ de la junte militaire : les ONG de défense des droits de l’homme dénombrent plus de 200 morts, tandis que le gouvernement, qui parle de « tentative d’insurrection », ne reconnaît que 73 victimes. Un massacre pourtant perpétré dans le silence quasi total des médias et des chancelleries occidentales.
Ce jour-là, les quartiers bastions de l’opposition de la capitale (Walia, Chagoua, Abena et Moursal) ont répondu à l’appel à la mobilisation lancé par Wakit Tama – une coalition d’organisations de la société civile – et plusieurs partis. Plusieurs provinces sont également descendues dans la rue (Moundou, Abéche, Bongor, Koumra) pour se joindre à la protestation.
Le Tchad n’est pas membre de la CEDEAO, mais seulement du défunt G5 Sahel, et avait répété qu’il ne soutiendrait pas une intervention armée de la CEDEAO au Niger.
Le 24 mai 2021, au Mali, neuf mois seulement après le coup d’État, le colonel et vice-président de la transition, Assimi Goita, mène un second putsch, fait arrêter le président de transition Bah N’Daw et son premier ministre Moctar Ouane, puis les fait démissionner. Quatre jours plus tard, il est nommé président de la transition au Mali. En janvier 2023, IBK meurt d’une crise cardiaque.
Le 5 septembre 2021, en Guinée, Alpha Condé, élu en 2010, est déposé après avoir fait modifier la constitution en 2020, lui permettant d’être élu pour un troisième mandat, malgré une vague de manifestations durement réprimées.
Le 24 janvier 2022, au Burkina Faso, les militaires arrêtent le président Roch Marc Christian Kaboré, au pouvoir depuis 2015 et réélu en 2020. Il était depuis longtemps contesté par l’opposition en raison de la dégradation de la situation sécuritaire liée à la menace djihadiste. L’auteur du Putsch est le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.
La junte dirigée par Damiba est renversée huit mois plus tard, le 30 septembre 2022, par le capitaine Ibrahim Traoré, arrêté, qui démissionne et s’exile au Togo.
Le 26 juillet 2023, au Niger, Mohamed Bazoum, élu président en 2021 dans la continuité de son mentor Mahamadou Issoufou, est déposé par le général Abdourahamane Tiani, qui le prend en otage et décrète la « fin du régime ».
Il convient de rappeler que la victoire de Bazoum au second tour des élections présidentielles de février 2021 avait été « étriquée » (55,7 %) face à l’opposant Mahamadou Issoufou qui revendiquait la victoire avec 50,7 %, et violemment contestée par l’opposition depuis l’annonce des résultats par la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
En février de la même année, un véritable soulèvement avait éclaté à Niamey et dans d’autres villes, entraînant la mort de deux personnes et l’arrestation de 468 autres.
Le gouvernement avait accusé le principal leader de l’opposition, Amadou Hama, d’être à l’origine de ces troubles.
Hama, fondateur du Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (Modem Fa Lumana), avait été arrêté après les manifestations post-électorales et contraint à l’exil pendant deux ans et demi, après avoir été autorisé à se rendre dans l’Hexagone pour y être soigné, et y être rentré le 12 septembre.
Le Premier ministre nommé par le CNSP, Ali Mahaman Lamine, avait commenté l’arrivée de cet ancien prisonnier politique qui avait occupé diverses fonctions institutionnelles : « Hama est l’un des plus grands hommes politiques du Niger, il est tout à fait normal qu’il revienne dans son pays (…) Il participera à l’effort de mobilisation de toutes les énergies pour le développement de notre pays ».
Début septembre, l’opposition, d’abord du président Issoufou puis de Bazoum, s’était prononcée publiquement contre le coup d’Etat, jugeant qu’avec le coup d’État « la situation (à Niamey) a évolué dans un sens qui donne plus de perspectives à l’opposition » et avait critiqué la Cédéao pour son attitude belliqueuse à l’égard du Niger.
Comme dans d’autres cas, après le coup d’État, des sanctions sévères sont imposées par la Cédéao qui, cette fois-ci, craint une intervention militaire pour rétablir « l’ordre démocratique ». À un moment donné, les mêmes dirigeants de la Cédéao ont même laissé entendre qu’un jour X serait fixé pour la mise en œuvre de ces sanctions. L’affrontement sera rude au sein de l’Union africaine entre les partisans de cette hypothèse et ceux qui s’y opposent, trouvant un compromis assez difficile pour résoudre la quadrature du cercle dans un communiqué. La menace d’une intervention militaire renforce la popularité du CNSP au Niger dans un climat de mobilisation permanente, et approfondit les contradictions entre les dirigeants des différents États de la Cédéao – à l’exception du Togo – et les populations, notamment au Nigeria, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, qui semblent être les plus fervents partisans de l’hypothèse de la guerre.
Le 30 août 2023, au Gabon, Ali Bongo Ondimba, successeur de son père Omar Bongo décédé en 2009, est déposé par un coup d’État militaire du chef de la Garde républicaine, Brice Oligui Nguema, dans une « révolution de palais » peu après l’annonce de la victoire électorale opaque d’Ali avec 64,27% des voix. La famille Bongo, qui a toujours été le pivot des intérêts occidentaux, et pas seulement français, en Afrique, est chassée du pouvoir.
Adieu Françafrique
Si le coup d’État de Bamako avait été le premier « wake up call » du néocolonialisme européen – à dominante française dans sa traction – le Putsch de Niamey a été vécu comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase à Paris et alerté Washington, qui dispose de bases et de moyens, et d’hommes, assez importants au Niger. La base américaine d’Agadez est le deuxième plus grand déploiement militaire du continent, abritant un millier de soldats et, surtout, les drones avec lesquels elle contrôle une partie importante de l’Afrique.
D’ailleurs, avec l’administration Biden, les Etats-Unis tentent de retrouver un rôle en Afrique, surtout depuis l’escalade ukrainienne de février 2022. En ce qui concerne le Sahel, il convient de rappeler le commandement américain basé à Stuttgart (AFRICOM) et l’opération conjointe “Flintlock”, qui se déroule depuis 2005 et à laquelle ont participé cette année 1 300 soldats de 23 pays, dont un contingent italien.
Les prochains pions de ce domino contre le néocolonialisme de l’UE pourraient être N’Djanema ou Dakar, derniers piliers (avec la Côte d’Ivoire) de la région de l’ancien pré-carré de Paris où les anciens colonisateurs sont depuis longtemps indésirables. La Françafrique qui s’est substituée à la domination coloniale avec l’indépendance formelle des anciennes colonies depuis 1960 est au crépuscule de sa vie. La présence militaire française – étendue à partir de l’opération militaire Serval au Mali en janvier 2013 et transformée en Barkhane en août 2014 – est inexorablement destinée à se réduire.
Et c’est précisément avec cette dernière opération qu’un saut quantique a été effectué par la France, en étendant son intervention militaire à l’ensemble des pays du G5 du Sahel, qui outre le Mali, comprenait le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.
Comme l’écrit Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans un article publié en juin 2022 dans la revue Etudes : « l’armée française s’est retrouvée à devoir sécuriser un territoire plus vaste que l’Irak et la Syrie réunis. Avec moins de 5 000 hommes, la mission est impossible ».
Malgré l’assassinat de plusieurs chefs des différentes formations djihadistes, l’insurrection islamiste n’a pas faibli mais s’est étendue, menaçant plusieurs pays riverains du golfe de Guinée. La Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin.
La tentative de « européanisation » de l’effort militaire français par la mise en place de la Task Force Takuba, créée en mars 2020 et lancée en 2018, a échoué en janvier 2022, sous l’impulsion de la junte au pouvoir à Bamako. 11 États avaient signé une déclaration commune soutenant politiquement cette force multinationale. Composée à l’époque de 40 % de militaires français, soit 800 personnes, elle comprenait un contingent danois, estonien, suédois et aveugle, ainsi que 200 Italiens, principalement dédiés à l’utilisation d’hélicoptères. Elle aurait dû s’élargir à d’autres contingents européens, mais la tournure des événements ne lui a pas permis de le faire.
Niger : l’Afghanistan français
Le Niger est devenu le centre du redéploiement militaire dans la région pour la France, qui “accueille” 1 500 militaires de Paris, après leur départ forcé du Mali en août 2022 et du Burkina Faso en février de cette année. Niamey avait exigé presque immédiatement – en raison de la réaction française au coup d’État – le départ du contingent militaire français après la rupture de tous les traités militaires conclus depuis 1977 avec Paris.
Le mur à mur entre Niamey et Paris, et la tendance belliqueuse de la Cédéao – la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Est – qui craint une intervention militaire au Niger, en ont fait la principale ligne de fracture de la région, sachant par ailleurs qu’une alliance militaire totale a été formalisée entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger pour combattre le djihadisme ainsi qu’une éventuelle intervention armée extérieure.
Un aspect non négligeable Depuis 1968, des entreprises françaises – de la Société des mines de l’Aïr (Somaïr) à Oran (ex-Areva) – exploitent au Niger des mines d’uranium nécessaires au fonctionnement des centrales nucléaires de l’Hexagone. Paris tire actuellement 17% de ses besoins du Niger, après avoir diversifié ses approvisionnements au fil des ans.
Mais le Niger sera aussi un important producteur de pétrole, une ressource du sous-sol encore inexploitée.
M. Macron a jeté de l’huile sur le feu en affirmant que l’ambassadeur de France à Niamey était retenu en otage dans l’ambassade.
Le 28 août, M. Macron a déclaré : « Nous ne reconnaissons pas les auteurs du putsch, nous soutenons le président qui n’a pas démissionné et aux côtés duquel nous restons engagés. Et nous soutenons une solution diplomatique ou militaire de la Cédéao, quand elle le décidera ».
Une position, celle du président français, à l’égard d’une éventuelle intervention militaire de la Cédéao qui est de facto isolée dans l’Union européenne, qui n’est pas reprise par l’Union africaine, et qui trouve des oppositions parmi les populations des gouvernements communautaires qui semblent les plus prêts à la lancer (Nigéria et Sénégal), et dans les dirigeants actuels du Tchad et du Togo.
En raison de sa position géographique, de ses ressources, du rôle qu’il a joué dans la gestion des flux migratoires et comme point d’appui du déploiement militaire occidental en Afrique, on peut dire que le Niger constitue une défaite stratégique, et pas seulement pour la France.
Eurafrique : la face “cachée” de l’impérialisme européen
Lucio Caracciolo écrit à juste titre dans l’éditorial de LIMES du numéro monographique de Limes (8/2023) consacré au continent au titre évocateur « L’Afrique contre l’Occident » que : « le plus protégé des secrets de l’européanisme s’appelle Eurafrique ».
Eurafrique est un concept qui a connu des fortunes diverses et des utilisations différentes, et un spectre de théoriciens qui, entre les deux guerres mondiales – lorsqu’il a été inventé – va de l’aristocrate allemand R. N. C. Kalergi au fasciste britannique I. Mosley, un personnage pas vraiment marginal dans la vie politique londonienne.
L’Eurafrique a une signification précise pour le futur pôle impérialiste européen depuis ses origines. C’est-à-dire à partir du processus qui a conduit à la signature des Traités de Rome dans la seconde moitié des années 50, et plus encore avec la création de l’Union européenne, où elle est devenue pleinement un projet de re-européanisation du colonialisme, redessinant cette profondeur stratégique nécessaire à la compétition inter-impérialiste qui s’est ouverte avec la fin du monde bipolaire.
La réalisation du Lebensraum du pôle impérialiste européen s’est faite dans trois directions principales : le Nord (Scandinavie et pays baltes), l’Est avec les anciennes démocraties populaires et la Yougoslavie, et l’Afrique du Maghreb au Sahel.
Comme l’a dit un diplomate britannique au moment de la signature des traités de Rome, il s’agissait de la « continuation du colonialisme français financé par des capitaux allemands ».
Une plaisanterie qui n’est pas dénuée d’humour.
Lier le destin de l’Afrique à l’Europe dans un « modèle de développement » hétérodirigé par Paris, Bonn, Bruxelles et Rome, telle était l’hypothèse sur le terrain.
C’était la volonté de créer un pôle à profondeur stratégique dans lequel l’Afrique avait une fonction géopolitique fondamentale dans l’affrontement USA-URSS, qui semblait privilégier le terrain européen au détriment de l’Europe elle-même, ainsi que la disponibilité des ressources matérielles et humaines pour le soi-disant marché commun euro-africain le long de l’axe centre/périphérie dominé par la métropole.
On pense à la valeur qu’aurait eue le projet Euroatom, tombé à l’eau en raison du retour au pouvoir de De Gaulle qui ne voulait pas partager la puissance atomique avec d’autres, pour articuler une autonomie stratégique européenne pour les élites européennes.
Avec la création de l’Union européenne, on peut parler d’une « troisième colonisation » de l’Afrique à l’époque contemporaine après celle qui a précédé la Première Guerre mondiale – l’âge des empires magistralement décrit par l’historien marxiste Hobsbawan –, le néocolonialisme occidental qui a commencé dans les années de l’achèvement de la décolonisation historique – décrit par K. Nkrumah -, puis, au cours des trente dernières années, par une nouvelle colonisation qui trouve ses racines dans la politique d’étranglement et les attentions cavalières des institutions financières occidentales (Banque mondiale et FMI) bien avant la fin de l’Union soviétique.
Une dynamique de long terme, donc, avec une « stratification successive » qui a pour condition sine qua non l’anéantissement de ce leadership issu des luttes anticoloniales non soumises à l’Occident, et ponctuée de coups d’État militaires et d’assassinats politiques qui sont allés jusqu’à la déstabilisation de la Libye et à l’assassinat de Kadhafi, et à l’occupation militaire du Sahel.
L’Afrique a été et reste un élément essentiel de la constitution du pôle impérialiste européen, et maintenant euro-atlantique. Mais cet empire sui generis dont Barroso a parlé en 2007 dans une gaffe célèbre (qui ressemble plus à un lapsus freudien) est à son crépuscule. Borrell a été plus explicite dans sa métaphore néocoloniale, mais même ici, le « jardin » du technocrate ibérique semble succomber à la « jungle », pour reprendre ses termes racistes. La dernière personne à avoir parlé de « Euro-Afrique » était peut-être Minniti – aujourd’hui président de Med-Or – en Mauritanie : « nous devrions nous habituer de plus en plus au terme Eurafrique », avait-il déclaré.
Aujourd’hui, nous devrions de plus en plus nous habituer à la fin de l’Eurafrique et à la rédemption de l’Afrique.
L’arme de la théorie
Il nous a semblé utile de mettre à jour un précédent dossier publié (sous forme d’e-book et de version PDF imprimable) en février 2022, avec cette nouvelle introduction. Ce dossier est constitué d’une sélection d’articles publiés dans « Contropiano.org » et de textes inédits qui offrent un aperçu de la fin du précédent – et “dernier” – cycle néocolonial que l’on peut dater de la déstabilisation de la Libye, et du début du nouveau cycle de décolonisation dans le cadre du processus multipolaire.
Nous pensons que cet instrument est utile pour les retombées que ces processus ont et peuvent avoir dans le ventre de la bête de l’impérialisme euro-atlantique, notamment parce qu’ils sont porteurs d’une idée-force de rédemption qui investit les populations du Sahel et de la diaspora, y compris la composante afro-descendante des classes subalternes au sein desquelles nous menons et continuerons à mener notre travail d’organisation.
En même temps, ce qui se passe renforce l’approche anti-impérialiste et la tension internationaliste dans les différents domaines de la lutte sociopolitique car ce qui se passe, c’est que ce sont les peuples en révolte qui écrivent l’histoire quelle que soit la forme que prend leur autodétermination par rapport au joug qui les opprime, en l’occurrence la cage de l’UE et l’impérialisme euro-atlantique.
Nous pensons que la nouvelle génération d’Africains et d’Afro-descendants – en reprenant la citation de Fanon par laquelle nous avons commencé cette traduction – a non seulement trouvé sa mission, mais est en train de l’accomplir.
29 septembre 2023
CREDITS
Immagine in evidenza: The modern civilization of Europeː France in Morocco & England in in Egypt
Autore: A.H. Zaki.jpg, between 1908 and 1914
Licenza: public domain
Immagine originale ridimensionata e ritagliata